Aller au contenu

 

Que sera notre monde dans 20 ans?

Géopolitique

Le monde entre espoirs et craintes

À la fin de la guerre froide, il y a 20 ans, les optimistes rêvaient d'un monde sans conflits idéologico-militaires, pacifié grâce à la propagation des libertés politiques et économiques. Le démembrement de la Yougoslavie, le génocide rwandais, les attentats de septembre 2001 ainsi que la riposte occidentale en Afghanistan et en Irak ont montré que les vieilles habitudes ne se perdent pas si vite. Que nous réservent les 20 prochaines années? Des spécialistes des questions internationales de l'Université de Sherbrooke sont partagés : certains envisagent le pire, d'autres croient aux promesses de l'après-guerre froide.

Stéphane Paquin est professeur adjoint à l'École de politique appliquée.
Stéphane Paquin est professeur adjoint à  l'école de politique appliquée.

D'où viennent les principales craintes? Pour Stéphane Paquin, qui publiera, le printemps prochain, un ouvrage de synthèse sur la mondialisation depuis la Seconde Guerre mondiale aux éditions Armand Colin, la crise pourrait résulter des succès mêmes des progrès économiques des dernières années. La croissance effrénée de l'Asie, notamment, mettra une pression énorme sur les ressources naturelles de la planète, ce qui pourrait entraîner des conflits nationaux ou internationaux.

Qu'arrivera-t-il si la Chine veut sécuriser par la force l'accès aux ressources africaines? Si d'autres crises alimentaires éclatent? S'il y a un autre SRAS? Si les réfugiés climatiques se multiplient? Il y a bien des voyants rouges sur le radar de M. Paquin...

Durant la même période, la place du Canada et du Québec dans le monde sera moins importante : «Dans 20 ans, le Canada ne fera plus partie du G7, le siège social de Bombardier aura déménagé à Pékin et la dette publique représentera 200 % du PIB», affirme M. Paquin, un brin provocateur. La mondialisation a fonctionné pour nous jusqu'à maintenant, mais ça pourrait se retourner contre nous dans les prochaines années : nous ne sommes pas assez productifs, la population est vieillissante et notre endettement collectif est loin d'être réglé.»

Serge Granger est professeur associé à l'École de politique appliquée de la Faculté des lettres et sciences humaines.
Serge Granger est professeur associé à  l'école de politique appliquée de la Faculté des lettres et sciences humaines.

Paradoxalement, l'espoir des optimistes repose sur les mêmes tendances. Pour eux, la progression de l'économie de marché augmente la richesse et détourne les peuples du recours à la violence. Serge Granger, spécialiste des relations sino-indiennes à l'École de politique appliquée, ne croit pas que la course aux ressources va mener à des conflits violents avec les pays occidentaux. «Nommez-moi un pays que la Chine a envahi dans son histoire récente... Il n'y en a presque pas : la tradition politique chinoise est plutôt pacifiste. Les Chinois savent que la guerre est extrêmement coûteuse. Même chose du côté de l'Inde. Dans les deux cas, la préoccupation est le développement économique, pas la course aux armements.»

Par ailleurs, l'Inde est une démocratie stable, et même la Chine fait des progrès sur les plans juridique et politique : «En 1979, souligne Serge Granger, il y avait 60 avocats en Chine. 60! C'était moins que dans la ville de Sherbrooke... Aujourd'hui, il y en a plus de 120 000, des juges sont formés, les malfaiteurs présumés ne sont plus appelés des criminels, mais des accusés.» Pour lui, «les autorités chinoises s'ouvriront aux doléances du peuple — c'est la seule façon d'éviter le chaos. Les élections, qui sont autorisées seulement au niveau local, se généraliseront d'ici 20 ans. Peut-être pas aux plus hauts niveaux, mais au moins à celui des provinces.»

Luc Savard est professeur agrégé au département d'économique et directeur du Groupe de recherche en économie et développement international.
Luc Savard est professeur agrégé au département d'économique et directeur du Groupe de recherche en économie et développement international.

Même si tous ont les yeux rivés sur l'Asie, l'Afrique — si souvent déclarée «continent perdu» — progresse discrètement. Luc Savard, économiste et habitué du continent africain, y observe une réduction substantielle de la pauvreté depuis le milieu des années 90. Il cite de nombreux pays où la situation s'est améliorée : le Ghana, le Sénégal, le Mali, le Mozambique, le Botswana, l'Ouganda, et ainsi de suite. «Avant, des pays menés par des dictateurs et déchirés par des conflits politiques, comme le Zimbabwe d'aujourd'hui, il y en avait 30 en Afrique; maintenant, c'est une minorité.» Et le mouvement devrait continuer dans les prochaines décennies, pourvu que les institutions internationales créent des conditions favorables, comme la libéralisation des échanges agricoles. Ce sera une réalité, «peut-être pas dans 10 ans, mais dans 20, probablement», dit Luc Savard.

En 2030, le monde devrait donc être multipolaire et plus équilibré qu'aujourd'hui. Les Américains vont-ils prendre ombrage de cette reconfiguration des rapports de force à l'échelle mondiale? Non, selon Gilles Vandal, spécialiste des États-Unis.

Gilles Vandal est professeur titulaire à l'École de politique appliquée.
Gilles Vandal est professeur titulaire à  l'école de politique appliquée.

«Ils se sont habitués à voir leur importance économique diminuer depuis la Seconde Guerre mondiale», souligne-t-il. Ils ont assisté à la montée du Japon, puis de la Chine et de l'Inde, à la création de la monnaie européenne, etc., et «ils ont appris à vivre avec ces réalités», ajoute Gilles Vandal, qui croit cependant que les États-Unis demeureront un leader militaire et économique. La société américaine sera encore très dynamique en raison de l'importance qu'elle accorde à la créativité et à l'innovation.

Restent les cas de la Russie et du Moyen-Orient. Gilles Vandal pense que la direction de la Russie est ambiguë : le pays ne semble pas avoir complètement abandonné ses fantasmes de puissance militaire. Le Moyen-Orient est une autre source d'inquiétudes. Pour Sami Aoun, professeur titulaire à l'École de politique appliquée, «les scénarios d'anarchie et de stabilisation sont aussi probables les uns que les autres dans la région. Dans 20 ans, nous saurons si la région est restée un simple bassin de ressources ou si elle est devenue un vrai partenaire de la mondialisation». Pour le moment, «c'est toujours une région “géopolitiquement sismique” : certains pays risquent d'exploser pour des raisons ethniques ou religieuses, comme l'Irak ou le Soudan, et la tentation nucléaire est toujours présente en Iran et elle se confirmera chez d'autres aussi».

Sami Aoun est professeur titulaire à l'École de politique appliquée.
Sami Aoun est professeur titulaire à  l'école de politique appliquée.

Pour les États de la région, le défi des 20 prochaines années est de moderniser leurs structures afin de permettre aux peuples d'être écoutés, d'augmenter le niveau d'alphabétisation et de favoriser la diversification économique. Sinon, la frustration pourrait continuer à nourrir la violence. Seul espoir : «Le terrorisme est un faux remède, et plusieurs s'en rendent compte dans la région», note M. Aoun.

Ainsi, lorsque nous prenons du recul par rapport aux (mauvaises) nouvelles du jour, il existe des raisons d'espérer. Mais à ce chapitre, la modération a bien meilleur goût.

Quelques prédictions...

  • En 2025, l'économie coréenne aura dépassé l'économie canadienne, et l'économie chinoise talonnera l'économie américaine. (Source : Goldman Sachs)
  • En 2050, la Chine trônera seule au sommet de l'économie mondiale, et le Canada aura été dépassé par le Nigeria, la Turquie et le Viêtnam. (Source : Goldman Sachs)
  • En 2030, cinq milliards de personnes vivront dans des villes (Source : ONU)
  • En 2050, la population mondiale atteindra neuf milliards de personnes. (Source : ONU)
  • En 2030, le G7 sera le G6 et sera composé des États-Unis, de la Chine, de l'Union européenne, du Brésil et de la Russie. (Prédiction : Stéphane Paquin)

Références

1 Nicholas STERN, Stern Review on the Economics of Climate Change, préparé pour le gouvernement britannique, 2006, p. vi. Disponible en ligne à l'adresse suivante : http://www.hm-treasury.gov.uk/independent_reviews/stern_review_economics_climate_change/stern_review_report.cfm.